Vidéo dans les cellules de détention : l’avis de la CNIL

14 juin 2016

La CNIL a rendu un avis sur un projet d’arrêté encadrant la mise en œuvre par l’administration pénitentiaire d’une vidéosurveillance permanente de certains détenus. Ces dispositifs doivent faire l’objet d’un encadrement adapté et de garanties particulières. 

La CNIL a été saisie pour avis par le ministre de la Justice d’un projet d’arrêté relatif à la mise en œuvre de dispositifs vidéo dans certaines cellules de détention. Elle a rendu cet avis le 19 mai. L’arrêté a été publié le 12 juin avec l’avis de la CNIL.

Ces dispositifs doivent permettre de placer sous vidéosurveillance, de façon permanente, les personnes dont l’évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur « l’ordre public ou l’opinion publique ». L’objectif poursuivi est en effet de s’assurer qu’elles n’attentent pas à leur vie et ne tentent pas de s’évader, et ainsi qu’elles répondent de leurs actes devant la justice.

Or, le cadre juridique actuel ne permet pas l’utilisation de caméras dans des cellules de détention « classiques » ni, a fortiori, la mise en œuvre d’une surveillance vidéo permanente dans ces cellules. En effet, seuls les dispositifs de vidéosurveillance dans les espaces collectifs des établissements pénitentiaires et ceux mis en œuvre dans les cellules de protection d’urgence sont actuellement encadrés par deux arrêtés, en date du 13 mai 2013 et du 23 décembre 2014, pris après avis de la CNIL. Le Gouvernement a donc souhaité prendre un nouvel arrêté pour la mise en œuvre de ces dispositifs.

Une mesure exceptionnelle qui doit faire l’objet de garanties fortes         

Si la légitimité des objectifs poursuivis par ces dispositifs n’est pas contestée, l’utilisation de caméras vidéo filmant en permanence certains détenus soulève de forts enjeux, tant en matière de respect des libertés individuelles que du cadre juridique dans lequel ils doivent s’inscrire.

La Commission a tout d’abord rappelé que ces dispositifs, particulièrement intrusifs, doivent reposer, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur une base légale suffisante et assurant un équilibre entre l’ingérence dans la sphère privée du détenu et les troubles à l’ordre public qui résulteraient de son suicide ou de son évasion.

Compte tenu du contexte d’urgence dans lequel ils ont été envisagés, la Commission a recommandé que ces dispositifs fassent l’objet, à brève échéance, d’une évaluation précise, concernant tant les aspects légaux qu’opérationnels, en concertation avec l’ensemble des acteurs dont l’expertise s’avère nécessaire en la matière.

Enfin, la Commission a demandé au Gouvernement d’assortir ces dispositifs de garanties substantielles, tant sur leurs critères d’utilisation que sur leurs conditions de mise en œuvre.

Un champ d’application à limiter

Initialement, le projet d’arrêté transmis faisait référence aux personnes « dont l’évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l’ordre public eu égard aux circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et l’impact de celles-ci sur l’opinion publique ».

Dans la mesure où il s’agit principalement de s’assurer que la personne pourra être présente à son procès, la CNIL a estimé que les personnes concernées devaient être strictement définies et que la formulation retenue demeurait imprécise. À la suite des échanges avec la CNIL, le ministère de la Justice a restreint le périmètre des personnes concernées en le limitant expressément aux personnes placées en détention provisoire et faisant l’objet d’un mandat de dépôt criminel. En outre, comme la Commission l’avait demandé, l’arrêté  publié a été modifié afin de préciser que seules les personnes faisant l’objet d’une mesure d’isolement pourraient être concernées par ces mesures de surveillance, sur décision du seul Garde des Sceaux. Enfin, l’arrêté prévoit désormais explicitement que ces dispositifs ne peuvent être mis en œuvre qu'à titre exceptionnel.

Si cette limitation du périmètre constitue une garantie importante, la CNIL a cependant rappelé au ministère de la Justice qu’il convenait de définir précisément les motifs qui pourraient fonder la décision du ministre de placer la cellule de ces personnes sous surveillance vidéo.

Une diminution significative des durées de conservation

Le projet d’arrêté initialement transmis prévoyait différentes durées de conservation des images : un délai de conservation d’un mois puis, à l’expiration de ce délai, une durée supplémentaire de six mois en base d’archive intermédiaire.

Si la durée maximale d’un mois ne posait pas de difficulté particulière au regard des durées traditionnellement appliquées aux dispositifs vidéo destinés à assurer la sécurité des biens et des personnes, la CNIL a estimé que les finalités poursuivies par les traitements ne justifiaient pas de conserver les données pendant six mois supplémentaires.

Le ministère a dès lors supprimé cette conservation d’une durée supplémentaire de six mois.

Des précisions quant aux garanties entourant la mise en œuvre des dispositifs vidéo

L’instruction du dossier a été l’occasion de s’assurer que ces dispositifs ne permettraient pas l’extraction de photographies ou encore l’enregistrement du son.

La CNIL a par ailleurs souhaité que des précautions soient prises quant au périmètre effectivement filmé, dans la mesure où les lieux d’intimité n’étaient pas exclus du champ de la caméra installée dans la cellule de détention. Le ministère s’est ainsi engagé à ce qu’un panneau d’occultation, placé devant les sanitaires, garantisse l’intimité corporelle de la personne prévenue. Par ailleurs, les caméras seront visibles et non dissimulés, ce que la Commission avait estimé nécessaire dans la mesure où cela renforce l’effectivité de l’information de la personne détenue.

Les évolutions complémentaires apportées au projet d’arrêté initialement transmis témoignent d’une prise en compte des observations formulées par la Commission et de la mise en œuvre de garanties importantes (mention exprès du caractère exceptionnel de la mesure ; information de la personne détenue ; possibilité de faire valoir ses observations dans le cadre d’une procédure contradictoire et d’être assisté d’un avocat ; procédure spécifique en cas d’urgence ; avis écrit du médecin à tout moment, ce à quoi le ministère s’était engagé dans le cadre de l’instruction du dossier). La Commission se montrera néanmoins attentive aux conditions effectives de mise en œuvre de ces traitements et pourra faire usage de ses pouvoirs de contrôle.